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jyr891

Pratique professionnelle en conscience et en reliance


Radiographie éthique d'un parcours professionnel.



L’éthique comme boussole

Les recherches que j'ai effectuées au CNRS, puis à la Société Européenne de Propulsion, de septembre 1978 à août 1983, portaient sur la synthèse et la caractérisation de nouveaux matériaux composites réfractaires à base de carbone et de carbure de titane. Ces matériaux étaient destinés à la fabrication d’une nouvelle génération de tuyères d’engins spatiaux. La conquête spatiale absorbe des moyens financiers énormes que les décideurs accordent sans sourciller, alors qu’ils ne concèdent qu’avec une indécente parcimonie des fonds à vocation humanitaire, sociale, environnementale. Mes recherches pouvaient en outre servir des applications militaires pour la propulsion des missiles. Ces constats dérangeants avaient sapé ma motivation et créé une situation moralement insoutenable. Je me fis donc un devoir de ne plus mettre mon temps, mon énergie ni mon intelligence à la disposition d’un secteur d’activité que je jugeais immoral. C’est ainsi que j’ai démissionné de mon emploi d’ingénieur de recherche pour partir, sans aide ni garantie, dans l’aventure d’une activité professionnelle indépendante au service d’une cause éthique. Ce changement de vie professionnelle m’a en outre permis d’aller vivre à la campagne, car je voue une admiration et une passion pour la nature, héritage de mon enfance paysanne dans une campagne reculée et assez pauvre (je connais d’ailleurs bien le métier de paysan pour l’avoir pratiqué comme aide familial dans la ferme parentale). C’est aussi pourquoi, durant mes loisirs de cette courte période salariée, j’avais réalisé un diaporama vulgarisant le rôle et l’intérêt des haies pour le climat, la biodiversité, l’hydrologie et, en fin de compte, pour l’agriculture elle-même. En effet, durant ma jeunesse, je fus ulcéré par la destruction méthodique de mon bocage natal, partie intégrante de mon être. J’ai vécu comme une amputation l’éventration du bocage, des chemin creux et des murets de pierres sèches qui jouxtaient mon village, pour réaliser une rocade et pour industrialiser l’agriculture. Ayant réussi à vendre ce diaporama au Bureau du remembrement du ministère de l’Agriculture, je décidai, en 1984, après ma démission de la Société Européenne de Propulsion, de fonder mon activité professionnelle indépendante sur l’éducation populaire à l’environnement, à une époque où l’écologie était suspecte (que la préservation de l’environnement, vital pour les humains, fut, et soit encore mal perçue est proprement incompréhensible…). Pendant vingt ans, j’ai conçu et réalisé de nombreux médias sur ces questions, avant de me lancer dans l'enseignement supérieur, sur des thématiques de développement durable, d'éthique, de complexité.

En 2005, jugeant que la sensibilisation de tous était bien avancée, mais qu’elle ne se traduisait pas par les actions correspondantes, je me suis formé au Bilan Carbone® pour aider les entreprises à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre.

Ayant également conduit, de longue date, une réflexion philosophique et métaphysique sur l'humain et le monde, j'en suis désormais arrivé à des conclusions assez décalées, sur des sujets difficiles et peu audibles, mais que je considère pourtant comme indispensables à agiter dans cette nouvelle phase de l'évolution sociétale. La mythologie moderne est une mythologie dualiste et matérialiste. Selon cette vision, le monde est un monde de choses, un monde d'objets dissociés des sujets et au service des humains. L'appréhension du monde, humains compris, est utilitariste. Cela forge des rapports avec la nature et des rapports sociaux qui sont des rapports de possession et de domination, ainsi qu’une conception prédatrice de l'économie. C'est pourquoi la transformation éthique des organisations appelle une refondation de notre mythologie, donc un travail d'élaboration de nouvelles représentations métaphysiques. L'"écologisation" des organisations, enfin envisagée, pour le moins tardivement, est nécessaire, mais elle se profile dans le même paradigme utilitariste. Ne s’agit-il que de pérenniser le service rendu aux humains par la nature ? L’avant-garde écologiste peine à comprendre les racines du mal et le progrès écologique ne règlera pas les affres de la domination, de la violence, du déni de dignité envers l'humain, les êtres vivants et l'altérité en général. Je travaille donc désormais à l’émergence d’une conscience éthique active dans les univers de l’entreprise, de la recherche et de l’enseignement supérieur. En effet, l'écologisation trop tardive des consciences et des organisations expose désormais l’humanité à des séries de crises majeures. La résistance au changement est pourtant toujours active malgré ce constat. Les rapports humains vont donc se tendre. Dans ce contexte très incertain et violent, les activistes du changement seront confrontés à d'énormes difficultés psychologiques et psycho-sociales. S'il est essentiel de tisser des liens pour coopérer, il n'en demeure pas moins vital d'aider les personnes à faire preuve d'engagement, de liberté, d'autonomie, de courage, de résistance, de résilience et de détachement.

Pour moi, le sens de l’engagement ne se décrète pas principalement par grandeur d’âme, mais il s’impose au même titre que les cellules sont engagées dans des processus de coopération au sein d’un organisme vivant. Un problème majeur de notre époque est le désengagement politique (au sens noble —et si rare— du mot "politique") et le délitement du lien, à diverses échelles, avec l’individualisme, le repli identitaire, l’obsession de l’accaparement spoliant, le désinvestissement du présent par projection fantasmée d’un avenir meilleur, etc.

Je souhaite contribuer au développement des principes de l’agir/penser en complexité, pour libérer le potentiel de transformation du collectif, enfermé dans le réductionnisme, les visions binaires et l’impuissance. Je cultive au-dedans comme au-dehors ce qui permit à Nikos Kazantzakis d’écrire : « Je n’espère rien, je ne crains rien […], je suis libre » (Ascèse, 1922).





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