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Une formation expérientielle en complexité

Formation transversale de l'Institut National Polytechnique de Toulouse, le Mastère Spécialisé Éco-ingénierie vise la transformation de la pratique d'ingénierie par l'éthique, l'interdisciplinarité et l'agir/penser en complexité.



Le Mastère Spécialisé Éco-ingénierie de l’Institut National Polytechnique de Toulouse (MSEI) met en œuvre une pédagogie-action où l’expérimentation pédagogique confère à l’enseignant la position d’apprenant au sein du collectif des étudiants. L’enseignant est un acteur apprenant, tandis que les étudiants participent à la production de connaissances pédagogiques. Le portefolio proposé aux étudiants comme exercice réflexif au long cours est un exemple d'innovation émergente issue d’une telle dynamique d'apprentissage.

Le processus pédagogique du MSEI est repensé au fil de l’eau, au vu des expériences et du vécu des étudiants et des enseignants. Les parcours d’apprentissage systémiques du MSEI (portefolio réflexif, conception de projet en autonomie) sont de solides exemples d’actions entreprises empiriquement pour mieux penser le processus pédagogique. La pratique révèle des pistes d’amélioration des parcours eux-mêmes, mais elle permet également d’affiner la relation étudiant-enseignant, de préciser le sens des évaluations, de consolider la reconnaissance de la subjectivité dans la pratique professionnelle. L’action permet de penser sa propre transformation sans réduire le processus d’amélioration à un schéma de rétro-action corrective purement mécanique.


L'exercice réflexif auquel sont invités à se livrer fréquemment les étudiants est destiné à développer l’intelligence relationnelle, socio-affective, et l’efficacité de l’engagement éthique dans la pratique de l’ingénieur, grâce à un travail personnel de distanciation et de décentration vis à vis de soi-même. L’étudiant apprend à se percevoir comme porteur de projets dans une trajectoire collective et comme reflet du collectif dans une trajectoire professionnelle personnelle.

La démarche réflexive proposée avec ce type d'exercice opère une maturation lente dans le système cognitif de l’étudiant qui prend conscience de la nécessité du temps dans la construction d’une représentation (comme la représentation de soi au sein d’un système socio-technique, par exemple). Le temps est par ailleurs un facteur positivement actif dans les processus individuels ou collectifs de recherche de solutions (Rossignol, 2018, encadré p. 111, p. 172-173).


Les étudiants sont mis en situation d’expérimenter des compétences et des savoir-être nouveaux pour l’ingénieur, en interaction avec des enseignants-chercheurs, accompagnateurs-expérimentateurs, insérés dans un contexte académique d’enseignement de pratiques classiques d’ingénierie. Dans ces conditions, la dialogique des processus d’émancipation et de normalisation, sur les plans individuels et collectifs, génère des postures d’ingénieur diversifiées qui se confrontent, notamment dans le cadre des projets, entre les approches plus techniciennes des uns et l’expérimentation de la conception et du pilotage des projets en complexité par d’autres.


Des compétences de l’éco-ingénieur ont été définies par co-construction avec les étudiants de la première promotion, à savoir : capacité à agir/penser en complexité, capacité à concevoir en interdisciplinarité, aptitude à l’engagement éthique, à l’agilité, à la médiation, au pilotage systémique et à l’ancrage psychosocial. Les progrès effectués dans ces registres sont évalués plus particulièrement dans le cadre des parcours d’apprentissage systémiques et de certaines matières, par la mise en œuvre conjointe d’un processus d’auto-évaluation et de co-évaluation (Rossignol, 2018, p. 231).


Les exercices et les études de cas systémiques à trajectoires ouvertes proposées dans mon cours d'introduction de la complexité en ingénierie, ainsi que les études proposées aux sous-groupes d’étudiants par des commanditaires externes, ne sont pas des « cas d’école ». Le rôle des enseignants n’est pas de conduire les étudiants vers des solutions préconçues, mais de les accompagner dans une pratique tâtonnante et incertaine pour les rassurer et les stimuler.

Les étudiants sont mis en situation d’agir sans un matelas prédéfini de connaissances académiques, afin qu’ils produisent leurs propres connaissances et prennent confiance en leur capacité d’autonomie intellectuelle et s’autorisent l’expérimentation hors des méthodes acquises.

La résolution de problèmes en intelligence collective selon une méthode récursive co-construction/modélisation caractérise les parcours d’apprentissage systémiques. Ces modalités pédagogiques sont propices au développement des sept compétences spécifiques de l’éco-ingénieur, en particulier l’agilité, censée conférer la sérénité et la créativité en situation floue.

Les expériences incertaines dans lesquelles sont plongés les étudiants pour rechercher des solutions exacerbent la dimension psychosociale du travail en groupe et constituent des opportunités d’expérimentation de régulations non codifiées, où l’objectivité peut être considérée comme une émergence des subjectivités (Rossignol, 2018, p. 94).


L’ingénierie s’inscrit dans un contexte socio-technique. Tout projet technico-économique est d'abord une question socio-technique, sociale et psychosociale. Dans les problèmes d’ingénierie, le Mastère Spécialisé Éco-ingénierie met l’accent sur la co-construction de solutions avec les acteurs du système socio-technique. Par exemple, un enseignement de trois jours est dispensé sur la modélisation d’accompagnement.

Les parcours d’apprentissage systémiques ouvrent le champ cognitif et relativisent la vision technicienne et technocratique de l’ingénierie pour intégrer les dimensions humaines et sociales à la conception des projets. L'incertitude, la subjectivité des points de vue et le partage ne sont plus des freins, mais des richesses et des opportunités. Dans la recherche de solutions satisfaisantes, les liens avec les contextes de tous ordres, et en particulier avec les écosystèmes et les acteurs civiques, sont privilégiés pour leur potentiel de créativité et de régénération.



© Jean-Yves Rossignol. Dépôt Copyright France NF2W2K6 du 26/06/2019


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